Histoire de Blodelsheim
Tragique destin
À la tête de ses troupes le Colonel Dewatre est mortellement blessé le 8 février 1945 dans la rue d'Ensisheim
Le 8 février 1945 une date historique pour Blodelsheim
Ce qu'a écrit Émile Decker, historien local dans les années 1980
8 Février 1945, une époque déjà lointaine et pourtant ! Mais c’est une date mémorable dans le passé de notre localité, mais également un évènement inoubliable pour la génération qui témoigna des années de tourmentes de la deuxième guerre mondiale.
Le récit qui suit est un hommage à titre posthume de la part de la population de Blodelsheim à un grand soldat de l’armée française, il est vrai un peu tard, mais il n’est jamais trop tard pour bien faire. Il s’agit du Colonel Charles DEWATRE commandant du 5ème Régiment des Tirailleurs Marocains, mortellement blessé à Blodelsheim le 8 février 1945. La population locale ignorait tout de ce brillant officier qui a laissé sa vie pour notre liberté.
Il faut se rappeler que des éléments combattants du 5ème R.T.M. sous le commandement du Colonel cité ont libéré le village de l’occupant dont les derniers combats se déroulèrent dans ces communes frontalières situées sur la rive gauche du Rhin.
Il faut reconnaitre le mérite de ces troupes équipées par les alliés qui sont venues d’Afrique du Nord, un chemin très long à parcourir et qui tout au long est semé de tombes des héros qui ont laissé leurs vies pour la liberté de la France.
Le 5ème R.T.M. avec un encadrement français était composé en majeur parti de Marocains d’origine qui se sont vaillamment battu pour la France.
Après le décès, le Colonel DEWATRE fut inhumé au cimetière de Soppe-le-Bas. Ses funérailles furent célébrées en présence d’une nombreuse assistance composée de soldats mais aussi de la population de Soppe-le-Bas. Il est précisé dans les mémoires du Régiment qu’une modeste femme vêtue de deuil pleura longuement lors de la cérémonie. Peut-être avait-il rappelé brusquement l’évocation d’un proche disparu, époux, fils, ou frère emmené contre son gré vers les champs de bataille et est mort obscurément un soir de combat sur une terre étrangère et oublié de tous.
En résumé, cette fin, le jour même où s’achevait la libération de la plaine de Haute Alsace, est hautement symbolique. Ce grand soldat, rescapé de tant de périls, riche encore de tant de promesses est mort à l’heure où sa mission s’achevait.
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Témoignage de ce jour mémorable de Jean-Jacques THIERRY recueilli par Émile Decker le 25 janvier 1992
Né en 1935, j’avais 10 ans en 1945. A cet âge là, il y a des faits marquants dont on se rappellera toute la vie. Notre propriété située à l’entrée de Blodelsheim sur la route venant de Roggenhouse, à l’époque à l’extérieur du village.
En ce février 1945, on savait l’heure proche de la libération. L’arrière-garde allemande faisait tout pour retarder l’avance de l’armée de libération en laissant derrière eux des pièges mortels en tout genre, surtout des terrains et routes minés.
Mon père, un ancien de la guerre de 1914-1918 suivait de près les évènements. Le matin du 8 février, sachant que les derniers allemands ont piégé la route avec les abords devant notre propriété avec de nombreuses mines, il m’avait défendu de m’aventurer sur la route vu le danger.
Dans la matinée les premières troupes françaises faisaient leur entrée à Blodelsheim, tout en évitant ces terrains minés. Le déminage a œuvré et a placé des banderoles pour signaler les dangers. Mais cela n’était pas suffisant pour éviter les accidents.
Un halftrack français chargé de munition fut la première victime, l’explosion d’une mine a arraché le train avant de l’engin qui se retrouvait dans le fossé assez profond à cet endroit. Dans l’après midi ce fut l’accident du Colonel DEWATRE.
Vu le harcèlement continu de l’artillerie allemande, nous logions dans la cave avec un poste de premier secours qui était installé auparavent.
Suite à une explosion proche de notre domicile, on a ramené sur une civière un grand blessé tout ensanglanté qui était cet officier. Pour moi, un gamin de 10 ans, ce fut très impressionnant, j’ai assisté aux premiers soins que les infirmiers militaires pratiquèrent au blessé.
C’est ce qui m’a marqué à vie, une jambe déchiquetée, le visage méconnaissable, les bandages qu’on lui a posé etc….
Gravement atteint on l’a évacué d’urgence vers un hôpital.
Le conducteur du véhicule apparemment est sorti indemne de l’explosion. Une partie du command-car déchiqueté fut retrouvé derrière notre maison à environ 50 mètres du lieu de l’explosion.
Si mes souvenirs sont exacts, dans les années de l’après guerre, l’épouse du colonel est venu en pèlerinage visiter les lieux où son mari a laissé sa vie pour notre libération.
Témoignage de René Brun recueilli le 10 mai 2021 par Patrick Decker sur les circonstances et de l'endroit où le command-car fut détruit par une mine et le Colonel Dewatre mortellement blessé
René Brun, âgé de 10 ans à l'époque des faits, a des souvenirs précis de l’endroit où le Colonel Dewatre trouva la mort. René Brun nous a dit : « La rue d'Ensisheim était bien plus étroite qu'aujourd'hui. Le command-car quitta le village, sauta sur une mine, entre la maison de l’ancienne perception et la maison de Decker Lucie, le command-car fut projeté de l'autre côté de la rue sur le bas-côté au sud de la route, la roue avant-droit toucha une mine ».
Détail de carte d'État-Major de Blodelsheim de l'endroit où le Colonel Charles Dewatre fut mortellement blessé.
Témoignages de compagnons de route et médecin sur la carrière et la fin tragique du Colonel Charles Dewatre le 8 février 1945.
Le Colonel MARIAUX, ancien du 8ème R.T.M. (1945) raconte son parcours militaire.
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Le 8 février 1945, le Colonel DEWATRE, commandant le 5ème régiment des tirailleurs marocains sautait sur une mine dans le village de Blodelsheim au bord du Rhin. Blessé très grièvement à la tête et aux jambes, il expirait au bout de quelques heures à Mulhouse, après de terribles souffrances supportées avec force d’âme admirable.
Avec lui, disparaissait une des plus belles et plus pures figures de notre vieille Armée d’Afrique.
Sa vie est bien connue dans les milieux militaires dont il était une des illustrations et un des espoirs. Mais, elle est si riche, elle exalte à un si haut point l’idée de devoir, qu’elle mérite d’être citée en exemple à tous.
Nous nous efforçons ici d’en résumer les grandes lignes, trop brièvement, malheureusement, car il faudrait un volume pour bien faire connaitre ce magnifique soldat, digne héritier des plus grands noms de notre histoire militaire.
Sorti de Saint CYR en 1922, dans l’infanterie, le Sous-lieutenant DEWATRE, après un bref séjour dans une garnison de l’Est, rejoint l’armée du Rhin. Il ne restera que le temps minimum, car il est attiré irrésistiblement par le Maroc de LYAUTAY, ce rendez-vous des hommes d’action.
Il y sera dès la fin d l’année 1924. C’est sa prise de contact avec les troupes indigène ; il ne l’a quittera plus. Il est affecté au 66ème R.T.M., ce prestigieux 66, de glorieuse mémoire parmi tous les vieux marocains, ancêtre de notre beau 5ème d’Italie et d’Alsace.
Son chef de corps est le colonel CALLAIS, son chef de bataillon le commandant de compagnie le lieutenant DESGREES du LOU. Ce sont des baroudeurs d’une haute renommé. L’élève sera digne de tels maîtres.
Dès avril 1925, le Rif se soulève. Le 66 est aux premières loges. Pendant tout ce début de campagne, si angoissant jusqu’à l’arrivée des renforts en juillet-août, il mène une vie harassante. Il faut chaque jour, attaquer pour débloquer un poste et le ravitailler, puis décrocher pour revenir à la base. L’adversaire est extraordinairement mordant ; il bondit sur un piton dès qu’on vient de lâcher ; il faut contre attaquer à la baïonnette, reprendre le piton pour ramasser les morts et blessés ; à chaque crê
te, la même scène se reproduit.
Dès le mois de mai, le lieutenant DEWATRE est cité à l’ordre de l’armée dans les termes suivants :
Jeune Officier qui depuis le début des opérations à fait l’admiration de tous par son calme et son absolu mépris du danger. Le 25 mai 1925 à REMLA, au cours d’un décrochage où il avait à lutter au contact direct de dissidents nombreux et mordants, n’a pas hésité à ramener sous une pluie de balles le corps d’un de ses camarades de promotion mortellement blessé.
En juillet, la situation s’est rétablie partiellement, grâce aux efforts des quelques bataillons qui tiennent tête depuis le début à la ruée des dissidents et se défendent en attaquant sans répits.
Le lieutenant DEWATRE est blessé grièvement le 4 juillet au cours d’une de ses actions. Une deuxième citation à l’ordre de l’armée précise dans quelles conditions.
<< Officier tout à fait brillant qui vient de faire preuve à nouveau des plus belles qualités militaires. Le 4 juillet 1925, à l’attaque de BAB-TAZA s’est porté résolument sur l’objectif à la tête de sa section électrisée par son exemple. A été grièvement blessé au cours de la progression. >>
Il n’assistera pas à la fin des opérations de 1925, où le 66, enfin épaulé et renforcé, recueille le prix de ses efforts et de ses sacrifices, mais, en 1926, il est rétabli et prend part à la réduction de la tache de TAZA. La lutte est particulièrement rude, le terrain chaotique, l’adversaire fanatisé par des groupes d’irréductibles.
Le 27 juin, le lieutenant DEWATRE remporte un magnifique succès avec sa compagnie, grâce à l’habilité de sa manœuvre, lors du nettoyage du TICROUKT. Il est cité à l’ordre du corps d’armée.
Il se distingue de nouveau, lors de la dure affaire du 14 juillet qui devait couter la vie à tant de brave, dont le glorieux commandant CROIZET, puis est blessé, une deuxième fois le 19 juillet. Une nouvelle citation à l’ordre de l’armée récompense sa brillante conduite.
<< Le 14 juillet 1926, à l’attaque de l’ICHMGILT, a lancé magnifiquement sa compagnie à l’assaut à la baïonnette, culbutant l’ennemie, enlevant rapidement son objectif. Blessé le 19 juillet au combat de la cote 1782, a gardé son commandement et n’a consenti à se faire soigner, que quand la situation a été nettement rétablie >>
Peu après, le lieutenant DEWATRE est fait chevalier de la Légion d’Honneur, il a 25 ans.
Infatigable, il rejoint, à peine guéri, son régiment qui part pour le LEVANT. Il participe avec à toutes les colonnes de fin de 1926 et de 1927 au cours desquelles il a la douleur de perdre le lieutenant DESGREES du LOU tué à la tête de sa compagnie.
Il est encore cité deux fois.
Le 66 rentre en France, tout chargé de gloire, trois fois cité à l’ordre de l’armée. Le lieutenant DEWATRE est affecté à Metz au 23ème R.T.A., mais il ne peu rester plus de 6 mois. La pacification du Maroc n’est pas achevée, il ne peut s’arracher à l’emprise de cette vie de colonne faite de dévouement, de camaraderie, de courage, d’enthousiasme devant la noblesse de l’œuvre entreprise, dans laquelle s’est forgée sa personnalité.
Dès le début de 1928, on le retrouve à Meknès, instructeur à l’école de DAR-BEIDA, puis au printemps 1929, en colonne avec le 13ème R.T.A.
C’est avec ce régiment, célèbre dans le TADLA, puis à l’état major du Général GOUDOT, qu’il participera à toutes les opérations de la pacification, de 1929 à 1934.
Le capitaine DEWATRE, officier de la Légion d’Honneur et titulaire de 10 citations, est devenu une figure légendaire dans l’armée d’Afrique.
Il rentre cependant en France, et, cette fois avec l’intention d’y rester. L’Allemand est devenu menaçant et tous les yeux se fixent sur la frontière.
Affecté au 14ème en 1935, le capitaine DEWATRE songe, en 1937, à devenir instructeur à St. CYR car il a la passion de former les jeunes, mais il est désigné pour l’Etat-Major de l’Armée. Il est aussi à l’aise dans ces hautes fonctions qu’à la tête de sa troupe, mais lorsque la guerre éclate, il ne peut se supporter dans un poste aussi éloigné des combattants et obtient d’être envoyé au cours d’état-major, à la suite duquel il est affecté à l’état-major de la 44ème D. I.
C’est avec cette grande unité qu’il participera aux combats malheureux de 1940. C’est un officier d’état-major d’une activité débordante, travaillant avec une rapidité peu commune et se rendant sans cesse sur le terrain pour se renseigner par lui-même et recueillir sur place les éléments de la décision. Il prend une part active aux combats dans l’Aisne, sur la Vesle et sur la Marne et obtint une magnifique citation à l’ordre de l’Armée pour sa participation à la défense du pont de DAMERY :
" Chargé le 11 juin 1940, comme officier d’état-major délégué du commandement, de donner l’ordre de mise à feu à un pont sur la Marne, a fait preuve au cours de cette mission, des plus belles qualités de coup d’œil, de bravoure et de sang froid. Après avoir organisé la défense et fait personnellement le coup de feu pour retarder l’ennemi, a provoqué la destruction au moment même où celui-ci, en force, allait enlever le pont. Ne s’est retiré qu’après avoir assuré la résistance sur la rive amie ".
L’armée française est écrasée sous le poids du matériel. C’est l’armistice. Abattu par ce coup, mais non découragé, le capitaine DEWATRE songe aux moyens de reprendre la lutte. Vieux Marocain, il prévoit la noble mission dévolue à l’armée d’Afrique et comprend que l’Afrique du Nord sera la plateforme de la délivrance.
Dès la fin de l’été, il est au Maroc et rejoint, à l’état-major de la Subdivision de Rabat, le général BETHOUART, le vainqueur de Narwick.
Il se consacre, avec ce grand chef, à la réorganisation des nouvelles unités marocaine et prend bientôt, comme chef de bataillon, le commandement d’un bataillon du 1er R.T.M., reformé avec des jeunes tirailleurs et des évadés d’Allemagne.
" Toujours fana et plein d’espoir ", tel le dépeint à cette époque le bulletin de sa Promotion de St. CYR.
C’est avec ce magnifique 1er R.T.M. qu’il prendra part, comme Lieutenant-Colonel, après un court passage à l’Etat-Major Général à Alger, à la campagne de la CORSE, puis à celle d’Italie. Ces opérations sont trop récentes pour en ait oublié l’âpreté et l’acharnement. L’ennemi est encore puissamment armé, et, combat avec une opiniâtreté fanatique.
Le Lieutenant-colonel DEWATRE déploie, au cours de ses campagnes, ses qualités habituelles.
Il est toujours en premier échelon et obtient encore deux magnifiques citations dont nous extrayons les lignes suivantes :
<< S’est particulièrement distingués le 29 et30 septembre en se portant malgré les violentes réactions de l’artillerie ennemie auprès des éléments les plus avancés pour préciser les intentions du Colonel >>
<< Le 28 mai 1944 a parfaitement coordonné l’action de deux bataillons engagés sur le SCHIARANO (Italie) permettant, grâce à son action personnelle, la réussite d’une action très dure dans un terrain abrupt tenu par des éléments ennemis appartenant à un corps d’élite >>.
Le 30 mai, s’est encore fait remarquer par son intrépidité et se portant à l’attaque du col de la PALOMBARA avec les premiers chars d’un détachement blindé. A ainsi entrainé par son exemple les unités du régiment qui, malgré un violent bombardement ennemi, réussirent à chasser l’adversaire dans une déroute désordonnée.
Enfin, en septembre, son rêve se réalise, il retrouve la France presque complètement délivrée. En décembre 1944, nommé Colonel, il prend le commandement d’un régiment de tirailleurs marocains de la 1ère Armée, un de ces régiments de vétérans, sans cesse sur la brèche depuis un an, le glorieux 5ème R.T.M.
Le Colonel DEWATRE est alors en pleine possession de ses qualités. Il a 44 ans, mais on lui en donnerait 35 tant sa jeunesse d’allure est étonnante. Intelligence, allant, coup d’œil, activité, courage, sang froid, autorité, gaité, bonté s’équilibrent en lui et rendent sa personnalité singulièrement attachante. Son regard clair, sa manière directe mettent les gens en confiance. Il communique à tous son enthousiasme et sa foi. Avec lui, tout parait facile ; il est partout, son rayonnement est extraordinaire. Il faut avoir servi sous ses ordres pour avoir connu un tel sentiment d’adhésion.
On peut lui appliquer la parole de LYAUTEY à propos de Gallieni : << C’est un Seigneur >>
A la tête de son régiment, il prend part à l’offensive qui libèrera la plaine d’Alsace. C’est d’abord la longue et dure période de rupture dans la forêt de NONNENBRUCH, les tempête de neige, la résistance farouche de l’ennemi, les blessés mourant de froid dans cette température sibérienne, jamais, au cour de cette guerre, la nature humaine n’a en à supporter de telles souffrances. Il faut une singulière force d’âme à un chef vivant si près de ses hommes pour leur demander des efforts aussi surhumains. Il faut une discipline solidement enracinée pour les accomplir. La cohésion est telle dans ces incomparables troupes d’Afrique, fondues dans le même creuset par tant d’épreuves subies en commun depuis plus d’un an, que l’impossible est accompli.
La percé est faite, on se rue à l’exploitation. Le régiment s’empare de Staffelfelden, Ungersheim, Réguisheim, butte contre le canal du Rhône au Rhin. Un dernier effort le 7 février, le canal est franchi, le Rhin est atteint, c’est la victoire.
Le Colonel DEWATRE suit au plus près ses bataillons de premier échelon. Il arrive avec eux à Blodelsheim, saute sur une mine, c’est la fin.
Telle fut la carrière militaire de ce magnifique soldat. Mais, une nature aussi riche pouvait-elle se limiter aux seules questions du métier ? Esprit universel, le Colonel DEWATRE était ouvert à tous les problèmes de son temps.
Son portait ne serait pas complet si l’on passait sous silence la curiosité passionnée qu’il avait de s’informer de toute question. Une telle orientation d’esprit, jointe à de si éminentes qualités intellectuelles et morales, le désignait pour les plus hautes fonctions. La perte d’un chef et d’organisateur d’une classe aussi exceptionnelle sera durement ressentie.
Il était, enfin, bon père que beau soldat. Sa mort a brisé un ménage parfaitement uni et plongé dans le deuil une belle famille française. Puissent son admirable femme et ses quatre enfants trouver une consolation dans les magnifiques exemples qu’il leur a laissé et dans l’affection unanime qui l’entourait.
La fin du Colonel DEWATRE, le jour même où s’achevait la libération de la plaine d’Alsace est hautement symbolique.
Ce grand soldat, rescapé de tant de périls, riche encore de tant de promesses, est mort à l’heure où sa mission s’achevait ; il n’était pas dit qu’il devait survivre à une aussi noble tâche.
Le Colonel DEWATRE connait maintenant le repos éternel dans le cimetière militaire de Cernay, Alsace, de sa division, au milieu de ses compagnons d’armes, de ses chers tirailleurs auxquels le liait une affection de plus de 20 ans. Son nom restera comme un des plus purs et des plus glorieux de notre vieille armée d’Afrique.
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Témoignage du Colonel Buttler, chef du 1er R.T.M. à la mémoire de Charles DEWATRE en Février 1945
On exigera beaucoup de celui à qui l’on a beaucoup donné ; et plus on aura confié à quelqu’un, plus on lui demandera.
Le 9 février 1945, tandis que l’Alsace fêta sa libération, l’armée d’Afrique pleurait un des meilleurs parmi les siens. La veille le Colonel Charles DEWATRE commandant le 5ème RTM, très gravement blessé par l’explosion d’une mine alors qu’il inspectait un Bataillon de première ligne établie sur la rive gauche du Rhin près de Blodelsheim, mourait à l’hôpital de Mulhouse après d’indicibles souffrances supportées avec une émouvante fermeté d’âme. Sous les coups de la douleur et devant la mort qu’il regarda venir en face avec le courage et la sérénité d’un vrai chrétien, il restera égal à lui-même.
Ceux qui vécurent dans son intimité ou partagèrent sa vie de soldat sentirent qu’ils perdaient plus qu’un être cher ou un ami ; il leur parut que l’armée venait d’être privée d’un de ceux qui étaient appelés à lui rendre son âme.
Doué de qualités essentielles qui d’un soldat, dont un chef, le Colonel DEWATRE frappait surtout par un remarquable équilibre vivifié et en quelque sorte humanisé par une nature aussi généreuse dans l’effort que dans ses rapports avec ses camarades et ses subordonnés militaires par tradition et par vocation, il appartenait à la génération de ceux dont l’adolescence fut marquée par la guerre de 1914 – 1918 sans avoir pu y prendre part. Aussi avec les meilleurs de sa promotion, n’eut-il qu’une pensé en sortant de St. Cyr, fuir la métropole pour entrer dans l’action là ou elle s’offrait.
C’est ainsi qu’il combattit au Maroc, puis en Syrie et de nouveau au Maroc avant de rentrer en France pour préparer la guerre devenue inévitable. De son éducation première et de sa formation par les pères Jésuites, auxquels il avait voué une filiale reconnaissance, il tenait cette solidité de comportement qui, dès le premier contact, décelait sa qualité.
Dans la troupe où il servit avec passion, il apprit à connaitre le cœur des simples. Parmi les Marocains il découvrit la véritable grandeur qui se dissimule chez ceux qui, dénué de tout, savent offrir leur dévouement total. C’est auprès d’eux qu’il connut pour la première fois les joies et le poids du commandement dans l’infanterie où le chef, sans cesse soumis au jugement directe de ses hommes, doit s’imposer par une supériorité quasi universelle. Auprès des grands chefs et dans les Etats Majors, où il servit à contre cœur, il découvrit les faiblesses qui parfois se dissimulent derrière un extérieur brillant.
Riche d’une expérience puisée aux sources les plus diverses, muri par les épreuves de la défaite à laquelle il assista impuissant, il revint au Maroc en 1940 dans l’espoir de reprendre la lutte. A la tête d’un bataillon du 1er R.T.M. il se prépara et prépara ses subordonnés avec une foi qui convainquit les plus sceptiques. Sans cesse à l’écoute du moral de son unité, il sut entretenir un climat favorable au travail de termite qu’imposait la présence des commissions d’armistice à ceux qui voulaient, malgré tout, être prêts le moment venu. Il y réussit si pleinement et obtint de ses cadres une adhésion si totale que deux ans plus tard son ancien Bataillon conservait encore sa marque.
Après un bref passage dans un Etat Major, au début de 1943, il obtint de rejoindre le 1er R.T.M. comme commandant en second, en juin 1943. Là il se donna à sa tâche, souvent fort délicate, avec une foi et un cœur, une simplicité et une abnégation qui lui valurent l’affection de son chef de corps et la confiance de ses subordonnés. Débordant d’activité, il allait d’une unité à l’autre animant, conseillant, dirigeant, redressant, toujours soucieux de servir avec le maximum d’efficacité tout en évitant les malentendus et les heurts.
La vitalité, la conviction et la séduction qui émanaient de sa manière d’être eurent raison de la passivité la plus tenace. Incapable de dissimuler sa pensée, il ne laissait jamais de doute derrière lui et savait faire oublier, sa droiture, les violences passagères d’un tempérament trop généreux, avide de perfection. Le 1er R.T.M. lui doit, en grande partie sa cohésion et sa minutieuse mise au point qui firent une des plus belles unités des Divisions Marocaines.
Lorsque vint pour lui l’heure de prendre le commandement d’un Régiment, il ne put, à son grand regret, obtenir le 1er R.T.M. A la tête du 5ème R.T.M. il s’imposa immédiatement en chef indiscutable qui sait commander en donnant l’exemple et en vivant au plus près de ceux qui, silencieusement et ignorés, supportent le plus lourd de la guerre. C’est en apportant ses félicitations et ses encouragements aux éléments de son Régiment qui venait de participer à la dernière phase de la bataille d’Alsace, qu’il fut mortellement atteint. Tombé sur la frontière de l’Allemagne il avait accompli sa mission.
Le sacrifice suprême que Dieu exigea de lui, lui fut certainement cruel mais il n’y a aucun doute qu’il ne l’ait accepté et offert pour que la France vive et que par elle la vérité Chrétienne finisse par avoir raison du chaos qui nous submerge. De la phalange de ceux qui ont besoin d’absolu et ne trichent pas avec eux même, il avait d’avance, en toute sérénité, fait son choix et savait où il pouvait le conduire. Profondément croyant et pratiquant, il plaçait les valeurs spirituelles au-dessus de tout et pensait qu’il n’est pas de sacrifice trop grand pour leur conserver la place qui leur est dû.
Un aussi noble exemple ne restera pas stérile. Il est de ceux qui feront naître la phalange de chefs qu’attend la France… ! Et peut-être au delà d’elle, la Chrétienté.
Récit sur son accident par le Lieutenant Mathieu et du médecin le Dr Valentin
Voici le récit du Lieutenant A. MATHIEU qui accompagna le Colonel Dewatre dans le command-car lors de l’accident, il relata à Jean FRANCEZ les circonstances de l’accident et les blessures mortelles du colonel
Camp de Stetten, le 28 juin 1946
Ce 8 février au matin, le P.C. avancé du 5ème R.T.M. se trouva installé à Réguisheim sur l’Ill, que nous occupions depuis deux jours. Le 1er et 3ème Bataillons avaient traversé le Canal du Rhône-au-Rhin et étaient installés à Roggenhouse et Munchhouse. A la reprise de la progression en direction du Rhin, au matin, le colonel DEWATRE, étant donnée la situation, décida de transporter son P.C. avancé à Munchhouse en début d’après midi.
Le lieutenant DELAFON, commandant la section de reconnaissance du régiment, était parti le matin afin de reconnaître un P.C. et de procéder à son installation. Après le déjeuner, qui eut lieu de bonne heure avec le commandant LAGARDE, chef d’Etat-Major et moi-même, Officier de renseignements, le colonel DEWATRE m’emmenait avec lui, afin de rendre compte par lui-même de la marche des opérations, qui touchaient à leur terme, étant donné la proximité du Rhin, notre objectif final.
Le colonel m’avait chargé de préparer une jeep, mais par suite d’un incident mécanique, celle-ci n’étant pas en état, nous nous installions dans un command-car, un peu à contre cœur, étant donné les inconvénients de ce véhicule dans les chemins étroits et défoncés. Nous arrivâmes sans incident à Munchhouse, où, après avoir vu le lieutenant DELAFON et reconnu rapidement le P. C. provisoire, le colonel DEWATRE décidait de pousser plus en avant, afin de prendre liaison à Hirtzfelden avec le général CALDAIRON, commandant la C.C.H duquel nous dépendions pour ces dernières opérations.
Nous remontions dans notre voiture vers 14 heures, et, après un rapide entretien au P.C. de Hirtzfelden, le colonel décidait de partir sans plus tarder pour Blodelsheim, où devait se trouver le commandant BERNY du 3ème bataillon. Nous primes donc l’itinéraire normal par la ferme du Schäfferhof puis Fessenheim et arrivions vers 15 heures à Blodelsheim sans incident. Au P.C. du commandant, nous arrivions pour apprendre que ses premiers éléments étaient installés en poste le long du Rhin depuis quelques instants. Ainsi l’objectif du régiment était atteint.
Le rôle du 5ème R.T.M. dans la libération de l’Alsace est virtuellement terminé. Les réactions de l’artillerie allemande et des automoteurs étaient violentes sur le village de Blodelsheim, et vers 16h15, profitant d’une accalmie, le colonel DEWATRE et moi-même remontions en voiture pour rentrer à Munchhouse par le chemin direct le plus rapide, c’est à dire par Roggenhouse.
Après avoir passé le carrefour central de Blodelsheim, objet de tirs de harcèlement de l’artillerie allemande de gros calibre, nous nous engagions sur la route de Roggenhouse. Arrivés vers l’une des dernières maisons du village, à 200 mètres environ du carrefour, le colonel DEWATRE installé à la suite du chauffeur, voyant un half-track d’une compagnie de génie brûler sur le coté gauche de la route, interroge un militaire pour lui demander si la route est déminée ; sur la réponse affirmative de ce dernier, il se retourne vers moi, installé juste derrière lui, pour me demander mon avis. Je lui répondis en répétant le renseignement que m’avait donné le commandant BERNY, à savoir que tous les véhicules de son bataillon étaient passés sans incidents, mais que, malgré tout, nous ferions mieux de reprendre l’itinéraire vers le Nord, par Fessenheim, emprunté à l’aller.
Néanmoins, voyant devant nous à une centaine de mètres un camion GMC utiliser la route, cela le décidait à continuer, et, étant pressé de rentrer, il donnait l’ordre au chauffeur de marcher.
Nous n’avions pas fait 50 mètres de plus, qu’une explosion très violente se produisit, nous venions de sauter sur une mine, probablement une « Topfmine », enfouie sur le coté droit de la route, à la hauteur de la dernière maison du village, servant de poste de secours au 3ème bataillon. L’effet était tellement inattendu, que l’officier de liaison d’artillerie, qui se trouvait dans les parages, me raconta après, qu’il avait cru à un obus venant percuter l’avant de notre voiture.
Sous la puissance de la déflagration, j’étais projeté violemment en l’air, mais la voiture étant couverte, je butais sur une traverse métallique de la capote et retombais sur le siège, pour recevoir sur moi le corps du colonel, qui avait été lui aussi projeté de son siège vers l’arrière. Il avait à ce moment-là le visage entièrement couvert de sang ; la mine avait éclaté juste sous la roue droite avant du véhicule et la déflagration avait crevé le plancher métallique recouvert complètement de terre. Reprenant rapidement mes sens, avec l’aide du chauffeur, qui, lui, n’avait aucun mal, nous dégagions rapidement le colonel, qui avait la jambe arrachée à la hauteur du genou, et, aidés par des soldats accourus au bruit de l’explosion, nous le transportions dans la salle du poste de secours du 3ème bataillon, située à une cinquantaine de mètres de là.
Après avoir immédiatement alerté le commandant BERNY, un half-track était mis à notre disposition par le C.C.H. pour évacuer le colonel à l’hôpital de Mulhouse. Il ne devait reprendre connaissance pour la première et dernière fois que quelques secondes avant son transfert du poste de secours au half-track, se plaignant par deux fois de sa jambe.
L’évacuation fut très rapide, puisqu’une demi-heure à peine s’était écoulée entre l’accident fatal et son transport en sanitaire. Je devais apprendre le soir que notre cher colonel, après avoir été fait Commandeur de la Légion d’Honneur, était décédé vers 21 heures à Mulhouse des suites de ses atroces blessures, jambe arrachée, cuisses brisées et fracture de l’arcade sourcilière.
Le docteur VALENTIN, médecin-lieutenant du 3ème bataillon, s’exprime en ce sens, touché par une profonde émotion, que nous n’avons pas oublié cette journée du 8 février, où l’arrivée au Rhin tant espérée était marquée tragiquement par la mort de notre colonel.
Mais Blodelsheim a aussi un payé lourd tribu à sa libération. Le 6 février un garçon âgé de 14 ans est tué par les tirs d’artillerie française. Le jour de la libération du 8 février, deux garçons âgés de quinze ans sont tués par l’artillerie allemande, plusieurs autres sont blessés.
Ceci en souvenir d’une journée mémorable dans les annales de notre commune. Mais cette cruelle guerre n’était pas encore terminée, d’autres victimes payaient encore de leur vie…. !
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Lettre à Hélène Dewatre du Docteur VALENTIN, médecin – lieutenant de bataillon.
15 août 1945 ( S. P. 60575 )
Madame, c’est avec une profonde émotion que je réponds à votre lettre ; oui mes camarades, ni moi, n’avons oublié cette journée du 8 février, où l’arrivée au Rhin tant espérée était marquée tragiquement par la mort de notre Colonel.
Déjà nous avions eu affaire aux mines les jours précédents, et dans la nuit un officier du bataillon avait aussi mortellement blessé : de nombreux tirailleurs avaient aussi été atteints au cours de la traversée du canal du Rhône au Rhin, dernier obstacle avant le fleuve frontière. Ma jeep sanitaire avait elle aussi, sauté avant le jour, et vraiment tous ces avertissements nous avaient mis spécialement en garde. Mais certaines mines spéciales étaient impossible à détecter, et leur grand nombre parfois rendait illusoires ces précautions, pourtant bien connues de nous tous, que l’on nous faisait prendre, sans retarder pour cela l’arrivée au Rhin tant souhaitée.
Mon bataillon avait occupé Blodelsheim dans la matinée du 8. Le P. C. avait rejoint le village au tout début de l’après midi, et moi-même, j’étais arrivé, venant de Roggenhouse, à l’entrée du village….la copie se termine là !
Emile DECKER – Blodelsheim / textes de ses archives remis à jour en 2015.